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Bilqiss, Saphia AZZEDDINE...une lecture nécessaire

éditions Stock, 2015, 209 pages.

Extrait
"Vous priez encore Dieu? - Bien sûr. Pourquoi ne le ferais-je pas? -Eh bien, il me semble qu'Il vous abandonnée ces derniers temps. - Allah ne m'a jamais abandonnée, c'est nous qui l'avons semé."

          Condamnée à la lapidation pour avoir osé déclamer l'adhan (appel à la prière) à la place du Muezzin, BILQISS n'entend pas endurer ses derniers jours dans l'apitoiement, mais transformera son indignation en une force éblouissante et montrera plus que jamais qui elle est.
Femme à la fougue éclatante, à la présence insolente et à l'esprit vif et piquant, BILQISS réussira-t-elle à attirer l'attention sur l'iniquité de sa condition et de ce qu'elle s'apprête à subir?

         Son simulacre de procès m'a fait penser à celui de Marie-Antoinette en 1793, où condamnée à subir le même sort que son mari LOUIS XVI, on l'accusera de tout et n'importe quoi avant de la conduire sur l'échafaud. Veuve, sans enfants, de condition sociale modeste, BILQISS ne fléchira pas devant les fanatiques enragés qui se font les bras armés de Dieu sur terre et qui sont incapables de dompter leurs pulsions/désirs.

          Le roman est construit en suivant le point de vue de trois personnages : Bilqiss, le juge et Léandra une journaliste américaine venue, dans des élans de compassions pour l'accusée, couvrir le procès pour son journal et vraisemblablement donner un écho international à cette affaire. Dans ce pays que l'auteur ne nomme pas mais qu'on imagine pouvant être l'Afghanistan, l'Irak, l'Iran, le Pakistan, il est préférable d'être "un volatile" qu'une femme et les accusateurs ne reculeront devant aucune bassesse pour charger davantage BILQISS et prouver qu'elle est une femme dangereuse. En effet, posséder des "aubergines" à forme phallique constitue un grave outrage à la morale religieuse et est passible d'une lourde peine!!!

        Dans une écriture délicieuse, où aucun mot n'est superflu, Saphia AZZEDINE rend sa narration addictive et nous fait vivre au rythme du procès de l'héroïne. BILQISS est une femme hors pair qui tient tête face à ce qu'on lui reproche et on ne peut s'empêcher de sourire à certaines de ses répliques cinglantes; notamment quand elle évoque son mariage avec un homme beaucoup plus vieux qu'elle (elle n'avait que 13 ans) : "Monsieur le juge, vous avez été charpentier, n'est-ce pas? alors essayez de faire rentrer une vis de 10 dans une cheville de 2. Voilà ce que je retiens de mon mariage avec cet homme si bon"...j'ai adoré son ironie, son cynisme, son charisme, son intelligence piquante, son indocilité, sa fougue, sa "foi inébranlable en Dieu" et en elle-même. Qu'elle suscite la haine ou la secrète admiration, elle ne laisse pas indifférent; ainsi le juge se surprendra à trouver cette femme attirante et s'attellera à faire en sorte que le procès dure pour repousser le moment de son supplice.

         Il faut bien sûr voir dans cette histoire comme un conte qui amène une réflexion sur la condition des femmes dans ces sociétés, la place prépondérante et contraignante de la religion, l'interprétation du Coran. voici un extrait : " et ce n'est certainement pas une bande de fripons en robe blanche rasés de frais et le front souillé qui réduira mon Saint Coran à un vulgaire mode d'emploi pour décérébrés", le roman est parsemé de ce genre de phrases tranchantes et la lecture fut un vrai régal.

           Ce livre est traversé par un élan vital et un souffle de liberté qui font du bien. BILQISS est l'incarnation du "verbe" et l'on attend qu'une chose, qu'elle ouvre sa bouche et libère sa précieuse parole.
Dans ce roman engagé, Saphia AZZEDINE nous livre ses remarques éclairantes sur le système dogmatique des pays où règne la charia, où le fanatisme le dispute à l'ignorance, où la "dévotion aveugle" supplante la recherche du savoir.

POUR FINIR... 

Une fois ce livre ouvert, vous ne pourrez plus le poser. Ce qui m'a beaucoup plu est la façon dont l'auteur nous amène à nous interroger sans, qu'à aucun moment, elle n'attaque l'Islam; on reste convaincus (enfin j'ose espérer!) que ce sont les hommes qui dévoient la religion, qui "ont semé Allah" et c'est une des forces de ce roman. C'est une charge contre la soumission de la femme, sa négation même en tant qu'individu à part entière.
Je pourrais citer de nombreux passages parce que la prose de Saphia AZZEDINE est belle, criante de vérité, mais je finirai avec la citation d'un hadith du prophète Muhammad :
"L'encre de l'élève est plus sacré que le sang du martyr".
 Bonne lecture ^_^....


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