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A qui je décernerais le prix Nobel de littérature ?


Comme vous le savez cette année la remise du prix Nobel de littérature n'aura pas lieu et a été reportée en raison d'un scandale (de moeurs ?) impliquant l'époux d'une des membre du jury. Il y a bien de grands écrivains vivants que je verrais auréolés de ce prestigieux prix, je citerai par exemple Joyce Carol OATES qui a consacré sa vie entière à l'écriture et qui, à 80 ans, mériterait bien cette consécration; je reviendrai bien sûr prochainement sur cette grande écrivaine américaine dont la lecture m'apporte mille satisfactions.

Cela étant dit, mon prix Nobel (non vivant) à moi pour 2018 c'est Romain Gary (Roman Kacew de son vrai nom, 1914-1980). Il serait présomptueux de ma part de vouloir écrire une chronique dont les mots seraient à la hauteur de ce génie de la littérature et qui puisse exprimer le plus justement possible le ravissement que me procure la lecture des romans de cet immense écrivain. La perfection de ses phrases, la profondeur de sa pensée et la beauté de ses mots se savourent et s'admirent tel un joyau que l'orfèvre aurait travaillé pour nous offrir un objet riche et proche de la perfection.
Rares sont les textes qui produisent un tel effet jubilatoire et que l'on ne peut se résoudre à quitter parce qu'ils nous transmettent tant de force et tout simplement parce qu'ils nous rendent à notre humilité, qu'ils rendent visible une forme de vérité du coeur et que seuls peuvent comprendre ceux qui par une solitude assumée et régénérante entretiennent avec la lecture un rapport vital.

Pour le plus grand plaisir de les relire et pour vous les faire (re)découvrir, je vous reproduis ci-dessous quelques extraits du magnifique roman "Les promesses de l'aube", Gallimard, 1960; roman dans lequel R. Gary nous invite à découvrir son plus grand génie : sa mère et à voir l'éclosion du seul écrivain doublement récompensé par le prix Goncourt. Se serait-il suicidé parce qu'il n'a pu se guérir de sa disparition ? Nina, cette mère tant aimé n'a, en effet, pas pu assister de son vivant à la consécration littéraire de son fils adoré. Après avoir tout dit, R. Gary a vraisemblablement pensé qu' en finir avec l'existence était peut-être le seul moyen de se libérer, d'apaiser définitivement sa colère.

"Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son coeur, ce ne sont plus que des condoléances."

"Ce fut à treize ans, je crois, que j'eus pour la première fois le pressentiment de ma vocation (...) une farouche résolution de redresser le monde et de le déposer un jour aux pieds de ma mère, heureux, juste, digne d'elle, enfin, me mordit au coeur d'une brûlure dont mon sang charria le feu jusqu'à la fin. le visage enfoui dans mes bras, je me laissai aller à ma peine, mais mes larmes, qui me furent si souvent clémentes, ne m'apportèrent cette fois aucune consolation. Un intolérable sentiment de privation, de dévirilisation, presque d'infirmité, s'empara de moi; au fur et à mesure que je grandissais, ma frustration d'enfant et ma confuse aspiration, loin de s'estomper, grandissait avec moi et se transformait peu à peu en un besoin que ni femme ni art ne devait plus jamais suffire à apaiser."

"(...) tout ce que je sais c'est que le loyer était toujours payé, le poêle allumé et ma mère m'embrassait et me regardait avec cette flamme de fierté et de triomphe dans les yeux dont je me souviens si bien. Nous étions alors vraiment au fond du trou - je ne dis pas de l'abîme, parce que j'ai appris, depuis, que l'abîme n'a pas de fond, et que nous pouvons tous y battre des records de profondeur sans jamais épuiser les possibilités de cette intéressante institution."

"(...) depuis, je me suis fait à l'idée et, au lieu de hurler, j'écris des livres."
"(...) je regardais la mer. Quelque chose se passa en moi. Je ne sais quoi : une paix illimitée, l'impression d'être rendu. La mer a toujours  été pour moi,..., une humble mais suffisante métaphysique.  Je ne sais pas parler de la mer; Tout ce que je sais c'est qu'elle me débarrasse soudain de toutes mes obligations. Chaque fois que je la regarde, je deviens un noyé heureux."

"(...) Attaqué par le réel sur tous les fronts, refoulé de toutes parts, me heurtant partout à mes limites, je pris l'habitude de me réfugier dans un monde imaginaire et à y vivre, à travers les personnages que j'inventais, une vie pleine de sens, de justice de compassion. Instinctivement, sans influence littéraire apparente, je découvris l'humour, cette façon habile et entièrement satisfaisante de désamorcer le réel au moment même où il va vous tomber dessus. L'humour a été pour moi, tout le long du chemin, un fraternel compagnonnage; je lui dois mes seuls instants véritables de triomphe sur l'adversité. Personne n'est jamais parvenu à m'arracher cette arme, et je la retourne d'autant plus volontiers contre moi-même, qu'à travers le "je" et le "moi", c'est à notre condition profonde que j'en ai. L'humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l'homme sur ce qui lui arrive."

"car rien ne vous isole plus que de tendre la main fraternelle de l'humour à ceux qui, à cet égard, sont plus manchots que les pingouins."

"Je commençais aussi à m'intéresser aux problèmes sociaux et à vouloir un monde où les femmes seules n'auraient plus à porter leurs enfants sur le dos. Mais je savais déjà que la justice sociale n'était qu'un premier pas, un balbutiement de nouveau-né, et que ce que je demandais à mes semblables était de se rendre maîtres de leur destin. Je me mis à concevoir l'homme comme une tentative révolutionnaire en lutte contre sa propre donnée biologique, morale, intellectuelle. Car plus je regardais le visage vieilli, fatigué de ma mère, et plus mon sens de l'injustice et ma volonté de redresser le monde et de le rendre honorable grandissaient en moi."

Pour ceux qui n'auraient pas lu le livre et qui souhaiteraient voir l'adaptation du roman (La promesse de l'aube) réalisée en 2017 par Eric Barbier, je vous le déconseille vivement; plutôt que de toucher à la sève d'une oeuvre magistralement écrite, c'est la promesse d'une "daube" qui vous sera servie dans ce film !!







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