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Les Misérables, Ladj LY ... véritable uppercut!




Comment parler de banlieue, de jeunes, de misère sans tomber dans le manichéisme ? 

De retour sur ce blog après plusieurs mois de veille, il est urgent de vous parler de ce film "coup de poing" qui a reçu le prix du jury lors du dernier festival de Cannes. Depuis "la Haine" de M. Kassovitz en 1995, aucun film sur la banlieue n'avait permis de faire un constat aussi terrible de la réalité des quartiers populaires, véritables territoires oubliés (plus que perdus) de la République. "La Haine" restait jusqu'à présent une référence indépassable; or aujourd'hui, "Les Misérables" s'impose comme une oeuvre magistrale dont le propos/le discours détonnant est servi par des moyens cinématographiques qui restituent avec nuance et âpreté le vécu de ces jeunes de cités. 
 
Dans ce film qui raconte l'enfance, les parents "référents d'éducation" sont peu présents, et plutôt que de parler de véritable démission de leur part, j'opterai pour plus d'indulgence en soutenant que certaines familles sont totalement dépassées par des enfants qui leur échappent. Le fond n'est pas vraiment abordé par Ladj LY, mais est esquissée l'idée que les services publics qui désertent ces quartiers plongent leurs habitants dans une forme de détresse et on en vient à se tourner vers des "substituts" à l'autorité de l'État qui amènent un semblent de paix sociale en prospérant sur le trafic ou sur une idéologie mortifère. Tourné à Montfermeil et à Clichy, ce premier long métrage du réalisateur est saisissant par son approche documentaire qui tout au long du film ne peut que susciter l'indignation et la colère. Il a d'ailleurs mis une dizaine d'années pour faire aboutir ce projet qui prend sa source dans une bavure policière que Ladj LY avait filmé en octobre 2008 et qui a permis la condamnation des policiers fautifs.

Les Misérables, nous fait suivre le quotidien de trois "baqueux" (policiers de la BAC) déambulant des heures durant dans une cité de Montfermeil et réglant tant bien que mal les troubles qui naissent du désoeuvrement et des différentes rivalités. L'embrasement suite à ce qu'on appelle une bavure policière précipitera l'action dans des moments de tension vertigineux.
Ayant moi-même grandi dans une cité de la Seine-Saint-Denis, je ne peux que souscrire à l'image renvoyée par ce film et à l'énumération de tous les fléaux qui gangrènent ces territoires. Eric Neuhoff l'a très bien dit dans sa chronique dans le Figaro "voici la banlieue comme si vous y étiez, donc comme vous ne l'avez jamais vue" ... alors quelle que soit l'émotion que ce film a suscité chez E. Macron, qui dit avoir été bouleversé par ce film, comme s'il découvrait une réalité vécue par des millions de ces "compatriotes", j'emploierai quant à moi un autre vocable ... je suis ressortie de la projection "révoltée, indignée, en colère"!!! Et en ayant passé un grand moment de cinéma.

Pour en revenir aux aspects scénographiques, Ladj LY filme la ville en lui donnant un rôle à part entière, la tension dramatique parfaitement maîtrisée évolue de façon constante vers une atmosphère étouffante où les scènes d'action sont percutantes et s'achève sur une scène finale "suffocante" ... j'ai fini de regarder ce film en apnée. Et le qualificatif "épique" me vient à l'esprit. 
Le réalisateur dit qu'il n'a pas fait un film militant mais politique, or je trouve sa démarche éminemment militante dans la mesure où il donne à voir ce que vit une population en créant une fiction tirée de ses expériences, à la manière d'un sociologue qui étudie son sujet en y étant immergé et en fustigeant par son propos l'inaction, l'indifférence des pouvoirs publics. Lors de la remise du prix du jury à Cannes en mai dernier, Ladj LY a déclaré "ça fait 20 ans qu'on est des gilets jaunes".

Pour en revenir au titre du film, la filiation avec Victor Hugo est pertinente; cet immense écrivain a d'ailleurs écrit "les Misérables" à Montfermeil en 1862. Il a été de toutes les luttes en faveur des déshérités, des sans-voix, des injustices et aujourd'hui l'utilisation de ce terme par Ladj LY déplace le poids des clichés pour nous montrer que tous les protagonistes de cette histoire sont des misérables, y compris les policiers; chacun prend sa part de misère. N'oublions pas une chose, c'est que l'on consent rarement à la condition de misérable.

Le film se clôt sur cette citation de V. Hugo :

"Mes amis, retenez ceci, 
il n'y a ni mauvaises herbes, 
ni mauvais hommes, 
il n'y a que de mauvais cultivateurs"

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