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Petit pays, Gaël FAYE...un hymne à l'innocence perdue ♡

éditions Grasset, rentrée littéraire 2016, 215 pages.

Résumé
Avant, Gabriel faisait les quatre cents coups avec ses copains dans leur coin de paradis. Et puis l'harmonie familiale s'est disloquée en même temps que son "petit pays", le Burundi, ce bout d'Afrique centrale brutalement malmené par l'Histoire. Plus tard, Gabriel fait revivre un monde à jamais perdu. Les battements de coeur et les souffles coupés, les pensées profondes et les rires déployés, le parfum de citronnelle, les termites les jours d'orage, les jacarandas en fleur...L'enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais.

               Gaël Faye nous offre un magnifique roman sur l'enfance. Il montre comment la violence finit par s'insinuer dans les âmes les plus innocentes pour les saccager. Cette violence et cette peur qui prendront place petit à petit et qui dissoudront l'insouciance de l'enfance pour laisser place à la méchanceté, la peur, la haine, la mort. Nous suivons le narrateur Gabriel qui a une dizaine d'années, dont le père est français et la mère rwandaise "tutsie". Progressivement des changements politiques vont se produire; face à ces changements, Gabriel, que le père a essayé de protéger en le tenant à l'écart des histoires politiques, fait preuve de lucidité et cherchera à s'accrocher à sa précieuse enfance pour ne pas sombrer dans la peur, pour ne pas devenir quelqu'un d'autre...un adulte avant l'heure. Il aimerait figer ce temps.

                Pour Gabriel, sa petite soeur Ana et leurs petite bande de copains (Armand, Gino, les jumeaux...) les préoccupations se limitent à un quotidien fait d'enfantillages, d'amusements dans leur "impasse", leur coin de tranquillité. Ils sont à l'âge où on ne juge pas l'autre, où on ne voit pas les différences, ce qui aurait tendance à nous séparer, à nous diviser. Gabriel se voit simplement comme un enfant Burundais, or il va finir par se rendre compte que son identité ne se limite pas à ça. Pour affirmer les positions des uns et des autres et renforcer le côté identitaire, on lui apprendra qu'il est métis français, rwandais et tutsi...et quand il demande à son père ce qui fait la différence entre les hutus et les tutsis, alors la réponse, assez absurde au final, portera sur des caractéristiques physiques, un "nez" différent! tout en sachant que ces deux ethnies ont beaucoup de points communs mais pas assez forts sans doute pour éviter le drame qui se prépare.

              Le point fort de ce roman est de nous raconter les faits par le regard de l'enfant ce qui atténue malgré tout la violence; il oppose l'avant, marqué par le bonheur, et le glissement vers l'après marqué par la guerre, les massacres, la séparation. Le Burundi, ce petit pays touché par de grandes turbulences, a connu beaucoup de violences (notamment en 1993 suite à l'assassinat du Président "hutu" Melchior Ndadaye). Avec une plume sensible, juste et sans larmoiements, l'auteur place son histoire sous le signe de l'innocence qui finira par se perdre. Au fil du récit on sent un conflit qui plane, une confusion qui s'installe et Gabriel est préoccupé par cette situation. Il est conscient et comprend ce qui se trame, mais s'accrochera tant bien que mal à cet espace de paix et d'insouciance que représente son enfance. Pour Gabriel, le monde des adultes est un monde complexe, compliqué, traversé par des problèmes qu'il ne veut pas comprendre et auxquels il ne souhaite pas prendre part. C'est quand il découvre les livres et leur magie grâce à une voisine Grecque madame Economopoulos, qu'il tentera de mettre à distance cette violence qui s'insinue dans son quotidien; il découvre alors le pouvoir que possèdent les livres, avec des moments d'évasion, des espaces de paix, des lignes de fuite "grâce à mes lectures j'avais aboli les limites de l'impasse, je respirais à nouveau, le monde s'étendait plus loin, au-delà des clotûres qui nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs [...] avec Madame Economopoulos [...] nous discutions pendant des heures des livres qu'elle mettait entre mes mains [...] j'apprenais à identifier mes goûts, mes envies, ma manière de voir et de ressentir l'univers".

             Gaël Faye écrit pour dire le malheur qui a massacré les vies et les innocences, ces  vies perdues et ceux qui restent mais qui ont perdu leurs âmes en 1994. Le narrateur, qui a de nombreux points communs avec l'auteur, raconte avec simplicité sa vie heureuse, ses copains du quartier, sa correspondance avec Laure la française; ce bonheur, Gabriel voulait le conserver intact. Le ton du récit passe de la légereté, celle de son enfance, à la gravité, celle des guerres, des massacres qui surviennent en ce funeste mois d'avril 1994, qui jettent une ombre sur son monde; gravité qui vient débusquer son insouciance dans son "impasse" qui était son cocon " - on va protéger notre quartier, Gaby, a répondu Armand en essuyant sa morve avec le revers de sa main. En temps normal j'aurais rebroussé chemin. Mais la guerre était maintenant chez nous, elle nous menaçait directement. Nous et nos familles [...] Gino et Francis m'avaient suffisamment reproché de vouloir que ces problèmes ne me concernaient pas. Les faits leur donnaient raison. La mort sournoise, était venue jusque dans notre impasse".

            Nous savons tous les horreurs de ce génocide, dont on garde les souvenirs des images vues à la télévision, quand d'autres les ont vécues dans leurs chairs et qui fait dire à la mère du narrateur (qui a vu l'insoutenable au rwanda où elle était retournée pour chercher sa famille) "...il y a des choses que l'on ne devrait jamais voir dans une vie [...] j'avais leur odeur sur moi. Cette odeur qui ne me quittera plus [...] une maman ne peut pas voir le sang de ses enfants dans sa maison. Alors je frottais, je frottais ces taches qui ne partiront jamais [...]" , le Rwanda était devenu "un charnier à ciel ouvert". (pour ceux qui s'intéressent à ce génocide, l'ancien reporter Jean Hatzfeld a écrit plusieurs livres sur ce sujet et en a fait une instructive analyse).

            Dans ce roman, Gaël Faye souligne une problématique très actuelle qui est celle liée à l'identité, aux fractures dont elle est porteuse et à la différence à laquelle on assigne ceux dont l'âme "tangue entre deux rives" et qui au lieu d'être considérée comme une force, une richesse, est stigmatisée; d'ailleurs dans une interview il fait un parallèle avec ce qu'il a ressenti lui-même quand, étant enfant on le renvoyait sans cesse à une autre identité ( né d'un père français et d'une mère rwandaise "tutsie").

             Le narrateur conservera-t-il son innocence face à cet appel de la violence et face à la mort qui se répand? Je vous laisse le soin de le découvrir et de savourer cette lecture.

POUR FINIR /

           Voilà qui est mon premier coup de coeur de cette rentrée littéraire.Ce premier roman lumineux est écrit avec maîtrise et sensibilité; Gaël Faye me semble être un homme pétri d'humanité.
 Je pense qu'on ne peut pas retrouver l'innocence perdue mais que les livres et l'écriture peuvent aider sur la voie de la guérison.
Pour prolonger le plaisir de la lecture et retrouver l'atmosphère qui évoque le souvenir, l'enfance, le bonheur perdu, j'ai voulu découvrir le "slameur/rapeur" avec la chanson "petit pays" (extraite de l'album "pili pili sur un croissant au beurre) qui est une pure merveille et qui m'a transportée sur sa terre africaine.
Cette lecture a emportée toute mon adhésion et m'a beaucoup émue surtout à la fin...alors, Gaël Faye remportera-t-il le prix Goncourt? je ne me prononce pas là-dessus parce que j'ai d'autres auteurs sélectionnés pour ce prix à lire, mais les paris sont lancés et il me semble être sur la bonne voie.
 

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