Accéder au contenu principal

Dieu n'habite pas la Havane, Yasmina KHADRA...ou la mélancolie heureuse du cubain

éditions Julliard, août 2016, 295 pages.

                     Résumé :
A l'heure où le régime castriste s'essoufle, "Don Fuego" chante toujours dans les cabarets de la Havane. Jadis sa voix magnifique électrisait les foules. Aujourd'hui les temps ont changé et le roide la rumba doit céder la place. Livré à lui-même, il rencontre Mayensi, une jeune fille "rousse et belle comme une flamme", dont il tombe éperdument amoureux. Mais le mystère qui entoure cette beauté fascinante menance leur improbable idylle.


Après avoir exploré l'esprit torturé d'un dictateur déchu en Libye, Yasmina Khadra nous emmène du côté de Cuba, où la chaleur et l'esprit festif sont au rendez-vous. L'idée de ce roman lui est venue suite à un voyage à Cuba où il devait faire des repérages pour un film. Séduit par la population et l'histoire de cette île, il a décidé de nous proposer ce voyage.

Loin des terres orientales, théâtres de ses romans précédents, ici c'est une vision, une philosophie de vie que l'auteur nous propose d'explorer. J'ai toujours rêvé de visiter Cuba, non seulement pour ses magnifiques paysages et sa population accueillante mais aussi parce que j'étais intriguée par cet air de rébellion qui souffle sur cette île qui me laissait croire qu'un peuple peu s'émanciper de la tutelle d'un géant capitaliste, en l'occurence ici les Etats-Unis et garder sa dignité. Or comme on le comprend à travers les yeux de "Don Fuego", même les communistes convaincus peuvent céder quand on leur graisse la patte. L'idéal castriste a ralenti le progrès et "le régime cubain a pétrifié l'ambition de son peuple, a effacé un idéal, cheptélisé la masse. il est alors difficile pour les cubains de retrouver une émancipation".

"Don Fuego", c'est l'espoir malmené mais qui reste chevillé au corps, parce qu'un cubain garde toujours le sourire même face aux vicissitudes de la vie. Ce chanteur populaire de rumba, qui connaît un grand succès, perd son travail suite à la privatisation du cabaret dans lequel il se produisait. De son vrai nom Juan del monte Jovana, 59 ans, il est divorcé, sa fille vit avec son ex-épouse et son fils avec lui. Contraint de vivre avec sa soeur et de partager la maison avec plusieurs membres de la famille, Y. Khadra donne à voir dans ce qu'il a observé cette solidarité indéfectible qui lie les individus, non sans promiscuité "...à la Havane, les familles vivent à plusieurs dans un même appartement. Depuis 1959 et la révolution castriste, la population a centuplé, mais la ville n'a pas bougé d'un poil, comme si une malédiction la retenait captive d'un passé aussi flamboyant".

 Dans son errance quotidienne et sa recherche d'autres pistes à enflammer, Juan del Monte Jonava va faire une rencontre salvatrice, Mayensi une jeune femme à la beauté renversante de 20 ans qui sera la bouée à laquelle il s'accrochera. Mayensi est une jeune femme manisfestement sans attaches familiales et qui s'est retrouvée à la Havane dans le but de trouver un emploi; elle semble farouche et se montre peu loquace. "Don Fuego" lui laissera le temps de l'apprivoiser mais ne parviendra pas à comprendre le mystère qui entoure cette jeune femme et qui donnera lieu à une scène très violente entre les deux protagonistes, entraînant un revirement de situation.

Ce qui sauve le personnage, c'est la musique et l'amour...Dieu n'a plus le droit de citer "à la Havane, Dieu n'a plus la cote. Dans cette ville qui a troqué son lustre d'autrefois contre une humilité militante faite de privations et d'abjurations, la contrainte idéologique a eu raison de la foi. Après avoir épuisé l'ensemble des recours adressé au Père de Jésus, et ce dernier s'étant inscrit aux abonnés absents, les quêteurs de miracles se sont déportés sur l'esprit de leurs ancêtres. Ils trouvent moins hasardeux de confier leur voeux aux prêtres et aux charlatans que de solliciter les prophètes plus occupés à entretenir leurs jardins d'Eden qu'à prêter attention aux damnés d'ici-bas.", ce qui explique le titre du livre.

Puisque la jeunesse en mal d'avenir n'a rien à posséder, seul le rêve leur permet de réinventer leur vie et au sujet du fils de Don Fuego : "Il évolue dans un pays où les rêves sont ailleurs, ployé sous le drame d'une jeunesse livrée à elle-même, certaine que si elle venait à décrocher la lune, les gardiens du temple la lui confisqueraient car, à Cuba, tout ce qui ne relève pas de l'Etat, à défaut d'être réprimé, est saisi."
Yasmina Khadra dresse le portrait social de la Havane, et les moyens qui permettent à une population de ne pas subir son sort dans la colère et la frustration, à savoir la musique, l'amour et la poésie. Ce qui nous donne une population chaleureuse, solidaire, consciente de son sort mais malgré tout généreuse; et l'auteur l'a constaté lors de son voyage à Cuba " les pauvres sont plus généreux que les riches".

Ce que j'en pense


Je ne vais pas comparer ce nouveau roman aux autres, car ici nous sommes dans un autre contexte (j'avoue quand même avoir été plus emportée par "la dernière nuit de Raïs). Yasmina Khadra est doté d'une plume d'une grande fluidité. C'est un écrivain prolifique mais qui ne néglige pas la qualité de ses écrits, et nous propose à chaque fois un roman dense, puissant, inspiré et à l'écriture poétique. Mohamed Moulessehoul de son vrai nom nous fait vivre des aventures tragiques mais passionnantes, ici nous sommes en pleine immersion à Cuba, on y respire, on y entend cette musique si enflammée...même si l'écriture est plus légère que ses précédents romans, l'histoire qui se déroule ici doit se prêter à la fluidité avec laquelle le cubain aborde son quotidien.

 




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Petit pays, Gaël FAYE..un hymne à l'innocence perdue.

Editions Grasset, rentrée littéraire 2016, 215 pages. Résumé Avant, Gabriel faisait les quatre cents coups avec ses copains dans leur coin de paradis. Et puis l'harmonie familiale s'est disloquée en même temps que son "petit pays", le Burundi, ce bout d'Afrique centrale brutalement malmené par l'Histoire. Plus tard, Gabriel fait revivre un monde à jamais perdu. Les battements de coeur et les souffles coupés, les pensées profondes et les rires déployés, le parfum de citronnelle, les termites les jours d'orage, les jacarandas en fleur...L'enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais.                Gaël Faye nous offre un magnifique roman sur l'enfance. Il montre comment la violence finit par s'insinuer dans les âmes les plus innocentes pour les saccager. Cette violence et cette peur qui prendront place petit à petit et qui dissoudront l'insouciance de l'enfance pour laisser place à l

Article 353 du code pénal, Tanguy VIEL

Edition de Minuit, 174 pages, janvier 2017. Résumé de l'éditeur Pour avoir jeté à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec, Martial Kermeur vient d'être arrêté par la police. Au juge devant lequel il a été déféré, il retrace le cours des événements qui l'ont mené là : son divorce, la garde de son fils Erwan, son licenciement et puis surtout les miroitants projets de Lazenec. Il faut dire que la tentation est grande d'investir  toute sa prime de licenciement dans un bel appartement avec vue sur la mer. Encore faut-il qu'il soit construit. Dans son nouveau roman Tanguy Viel raconte le mécanisme de manipulation par lequel Martial Kermeur, ouvrier d'une cinquantaine d'années et père célibataire s'est fait avoir par Antoine Lazenec, un promoteur immobilier véreux. Après avoir été licencié par l'Arsenal, Martial Kermeur touche une indemnité de 400  000 francs. Quand Lazenec entre en jeu et lance l'idée d'un projet immobilier inédit da

Derrière la haine, Barbara ABEL

éditions Fleuve noir, 2013. Résumé de l'éditeur : D'un côté il y a Tiphaine et Sylvain, de l'autre, il y a Laëtitia et David. Deux couples, voisins et amis, fusionnels et solidaires, partagent le bonheur d'avoir chacun un petit garçon du même âge. Maxime et Milo grandissent ensemble, comme des jumeaux. Jusqu'au drame. Désormais, seule une haie sépare la culpabilité de la vengeance, la paranoïa de la haine...          Toujours désireuse de découvrir des auteurs de thrillers que je ne connaissais pas, Barbara Abel semblait correspondre au "profil recherché". Un "synopsis" prometteur, une photo de couverture accrocheuse et intrigante à souhait, et tous les avis lus sur internet m'ont encouragée à lire ce roman qui ne faisait pas partie de ma pile à lire du mois de mai. Je me rends compte au fur et à mesure de me lectures et de certaines déceptions que je deviens assez exigeante en matière de thrillers/romans noir/polars. Je m'