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Le rapport de Brodeck, tome 1/2 | L'autre, Manu LARCENET

D'après le roman de Philippe CLAUDEL, éditions Dargaud 2015.

Brodeck est un rescapé des camps qui rentre dans son village peu de temps après la guerre. Les habitants de son village lui demandent de rédiger un rapport sur ce qui vient de se passer. " de anderer" c'est l'autre, celui qui a été victime d'une exécution collective. Brodeck est le seul à ne pas avoir été présent lors de cette mise à mort et il se sent acculé. Il ne comprend pas la raison de leur geste et semble résigné à fournir aux autres habitants ce qu'ils demandent. Il rédigera parallèlement à son rapport officiel, un rapport officieux dans lequel il racontera sa vérité.

On tourne les pages de ce roman graphique en étant stupéfaits par la beauté d'un graphisme noir et blanc très dépouillé, qui, allié à la perfection des dialogues confère à l'histoire une atmosphère très pesante. Le dessin en noir et blanc magnifie la nature et renforce l'idée de sa puissance face à l'homme. Beaucoup d'intensité et de gravité se dégagent des dialogues, même quand c'est le silence sur plusieurs pages; ce qui peut être déroutant pour les non initiés comme moi qui ne savent pas comment interpréter ces silences. Le talent du dessinateur nous fait comprendre qu'il y a une montée progressive de la tension par des gros plans sur "des regards, des ombres, des masses".

Pourquoi les habitants de ce village s'en sont pris à "de anderer"? Un nouvel arrivant qui, a priori, n'avait rien de menaçant, mais dont tous se sont méfiés parce que les habitants ne savaient pas d'où venait cet inconnu, pour quelle raison il était venu dans leur village et dont le côté peu bavard inquiétait. On sent une évidente menace latente envers Brodeck dans l'injonction qui lui a été faite, à  savoir rédiger un rapport censé laver les consciences des coupables du crime.

Ce qu'il y a de saisissant, ce sont les flash-back de Brodeck sur ce qu'il a vécu dans les camps; on est pris à la gorge et sidéré par tant d'inhumanité. Dans ce roman graphique l'auteur focalise sur l'humanité, sa bestialité et ses abjections. Il donne à voir une vision de l'altérité dans cette peur de l'autre qui ne nous a fait aucun mal mais dont la présence est source d'inquiétude. L'anderer est un artiste, qui aime peindre, et qui sourit mais la compréhension de l'art n'est pas à la portée de tout le monde. On ressent la puissance d'évocation  concernant le climat rude et détestable.Le décor est éminemment hostile et inquiétant. Manu Larcenet mène bien son intrigue en créant le suspense à la toute dernière page.

On finit par comprendre évidemment que ces villageois ont été traumatisés par la guerre et qu'ils ne parviennent pas à trouver la paix. Toute la noirceur de l'esprit des habitants est perceptible grâce à la qualité et l'intensité du dessin de Manu Larcenet.
L'atmosphère est sombre, austère mais l'auteur parvient à introduire de la poésie dans son roman graphique à travers ses dessins, parce que la poésie n'a pas forcément besoin des mots pour jaillir, nous saisir...n'est-ce pas René Magritte qui disait que ses peintures c'est de la poésie rendue visible!

Le tome 2 "l'indicible" est déjà disponible depuis peu de temps.


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