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Lettre ouverte au ministre tunisien de la santé...

 Ce blog va aujourd'hui servir à faire part d une expérience très personnelle qui m'a profondément bouleversée et je tiens à exprimer publiquement mon indignation. Cette lettre sera naturellement envoyée à l'interessé ainsi qu'aux protagonistes que je tiens pour responsables dans cette enchaînement de circonstances. 

****************

Monsieur le Ministre,

Je m’adresse à vous après avoir passé quinze jours de cauchemar en Tunisie, où mon père, atteint du COVID 19, a succombé à la maladie le dimanche 25 octobre 2020. Ma sœur et moi nous étions rendues à ses côtés et l'expérience que nous avons vécue s’est révélée très éprouvante.

Je suis rentrée en France dégoûtée, révoltée et indignée par votre pays qui s’est montré si défaillant.

Si je suis dévastée par la disparition de mon père, c’est mon sentiment d’indignation que je souhaite vous exprimer dans ce courrier ; j’entends en effet vous confronter à tous les travers d’un système de santé qui a fait souffrir mon père. Je veux exprimer ma colère quant à ce système qui, face à une crise sanitaire d’une telle ampleur, s'est révélé inique et destructeur.

J’espère que mon récit percutera votre vision de vos institutions et me permettra d’en appeler à une action de votre part. Cela ne ramènera pas mon père, mais je le fais pour sa mémoire.

Je publierai cette lettre sur mes médias français, et en adresserai copie à l’hôpital CHU Mongi Slim - La Marsa, où mon père a passé deux jours épouvantables (du 15 au 17 octobre 2020), deux jours qui lui ont été fatals... ainsi qu’à l'ambassade de France à Tunis, organisation qui ne nous a pas été d’une grande utilité, tant son assistante sociale, s’est montrée incompétente et indifférente, se contentant d’un laconique : "Je ne peux rien faire pour vous".

Les responsabilités sont multiples.

Bien que ma sœur et moi parlions votre langue, nous n’en maîtrisons pas le langage, de sorte que nous nous sommes senties très désemparées, déboussolées, et aurons bien du mal à nous en remettre. Je me sens coupable car parfois dans certaines situations je n’ai pas su tenir tête ; m’a manqué la force de caractère, j’étais tellement éprouvée de voir mon père ainsi, je me sentais tellement impuissante.

Je n’ai pas pu reprendre mon travail, encore trop choquée, écœurée, des circonstances du décès de mon père, je ne sais pas comment je vais pouvoir m’en remettre. Cette lettre me tient lieu de premier pas pour commencer mon deuil et ne pas oublier mon papa.

Ainsi ai-je inscrit sur sa plaque tombale : "Ne meurt que celui qu'on oublie"... 

Mon père, de nationalité franco-tunisienne (il avait la nationalité française, pas par décret ou autre mais par filiation car sa mère était Française (Jurassienne), s'appelait R. BEN RAÏS , il était né le 10 mai 1933 à Tunis, et était retraité pharmacien et inspecteur de la santé publique en France.

Atteint par le COVID 19, il a passé deux jours dans un hôpital public à Tunis, le CHU Mongi Slim - La Marsa, qui est un centre hospitalier universitaire. Dans cet établissement, la communication s’est révélée très difficile avec les internes et globalement l’ensemble du personnel... Mon père était installé dans une sorte de box avec quatre autres patients COVID, dont certains à l'agonie, il n’y avait pas de place en réanimation. Ma sœur et moi n'étions pas au fait des pratiques et ignorions qu'il fallait apporter les draps, coussins, couvertures, changer la couche de notre père, acheter un masque à oxygène adulte ( lui avait été mis un masque pédiatrique…) J’ai considéré cet espace comme un mouroir, dans le sens littéral. Ainsi ai-je été témoin de la situation d’un patient installé à côté de mon père : il gémissait et avait de grande difficulté à respirer, puis il a fini par mourir, sous mes yeux, et c’est uniquement à ce moment-là que des personnels sont venus, pour emmener le corps.... Mon père n’avait pas de perfusion, j’ai alors demandé le premier jour au personnel comment il était alimenté.... Aucune réponse ne m’a été fournie… J'ai alors interpellé les internes pour m'enquérir de l'état de santé de mon père... On m'a ignorée.... Je suis alors allée m'écrouler en larmes auprès du surveillant général de l'hôpital… Il m’a presque ri au nez… Devant cette surveillance des patients COVID défaillante, j’ai finalement beaucoup plus échangé avec le gardien de l'hôpital qu'avec un médecin titulaire.... Pas de temps, pas de moyens, pas assez de personnel… et une empathie absolument inexistante.

Déjà lors de l'entrée de mon père dans cet hôpital, il avait fallu que j'aide le brancardier à pousser son lit roulant pour l'emmener faire un scanner thoracique, en passant par la rue et une chaussée déformée dont les secousses provoquaient des douleurs à mon père et lui arrachaient des cris. Ensuite, pour le déplacer du lit sur la table de scanner, l'agent (je ne sais quelle était sa fonction) avait tiré mon père par son T-shirt, tel qu’il aurait pu le faire pour un sac à patates... Une fois le scanner effectué, nous avions reconduit mon père pour le placer dans la zone patients COVID, et au moment de le déplacer du brancard au lit médicalisé, j’ai observé que ce dernier était trempé, avec une espèce de flaque. Tandis que ces incompétents et irrespectueux personnels entreprenaient d’installer mon père directement dessus, j’avais dû me hâter de trouver du papier pour essuyer l'eau et éviter ainsi à mon père d’être posé là, tel une vulgaire chose sans intérêt. Son lit médicalisé s’était avéré cassé : la barre de sécurité ne se fixait plus, lui faisant courir le risque de tomber dans son sommeil ou ses mouvements, mais pire : le mécanisme pour redresser le buste était bloqué, or mon père ne devait surtout pas rester à plat s’il voulait parvenir à respirer un peu. Puis j’avais constaté que mon père avait des aphtes qui faisaient qu’il ne parvenait plus à avaler quoi que ce soit par la bouche. Lorsque j’en avais alerté le personnel, il me fut simplement répondu que je devais aller acheter un bain de bouche en pharmacie...

La santé est-elle la priorité dans ce pays ?

Outrées, consternées, choquées par ces méthodes et le manque de communication et d’empathie, ainsi que parfois par l'indifférence à la souffrance des patients et des familles, au bout de deux jours, ma sœur et moi avons estimé que c'en est trop et qu'on ne pouvait laisser notre père plus longtemps dans cet endroit où l’on entre pour mourir et où les internes semblent faire de la figuration.

Ainsi lui avons-nous trouvé, grâce à la garantie assistance de l'assurance MACIF de ma sœur, une place dans une clinique privée à Ezzahra (dans la banlieue de Tunis).... Mon père a été admis dans un lieu entièrement équipé, à l’image de nos hôpitaux publics en France, où l'équipe médicale a essayé de sauver mon père... Il a été installé en réanimation, dans une chambre individuelle propre, avec des soignants dévoués, mais malheureusement l'état de mon papa était trop gravissime, il a succombé le 25 octobre 2020. Même si la clinique avait les moyens humains et matériels, ainsi que les compétences, nous n'avons pas pu voir notre père pendant la semaine qui a précédé le décès... Les visites étaient interdites pour les patients en réanimation COVID... Quelle douleur de ne pas avoir pu lui tenir la main pour son dernier souffle. Je suis meurtrie. Alors qu'à l'hôpital public Mongi Slim une pseudo interne m'a fait savoir que papa ne passerait pas la nuit le 15 octobre 2020 lors de son admission, à la clinique privée Ezzahra, le médecin reanimateur a pu stabiliser son état pendant une semaine... Cherchez l'erreur !

Mon père a été inhumé au cimetière de Gammarth dans la banlieue de Tunis.

En fait, si j'analyse les choses a posteriori, je pense qu'il aurait fallu que je reste auprès de mon père nuit et jour à l'hôpital public Mongi Slim lors de son admission aux urgences, pour lui tenir lieu l'aide-soignante, mais avec quels moyens aurais-je pu faire cela ? Au moins aurais-je pu peut-être surveiller son oxygène, car il retirait son masque par gestes réflexes et personne ne le lui remettait.

Je n’aurais jamais imaginé vivre cela un jour. J'ai vécu un cauchemar et je n'arrive pas à me débarrasser de certaines images. Mon esprit demeure embrumé… Mais ma colère et ma volonté de la faire connaître sont, elles, bel et bien, et plus que jamais, en éveil.

Début septembre votre gouvernement, en la personne du nouveau Premier ministre Hichem Mechichi, alertait sur les « défaillances » dont souffre le secteur de la santé tunisien et particulièrement les hôpitaux, « que ce soit au niveau de l’équipement ou des ressources humaines ». Qu’avez-vous fait pour y remédier depuis ? Qu’avez-vous fait pour pallier le fait que les hôpitaux « ne répondent pas aux attentes des citoyens » et à ce qu’on est en droit d’attendre face à une telle crise sanitaire ?

Je ne sais pas si je souhaite vous accorder un droit de réponse, Monsieur le Ministre, cela ne ramènera pas mon père et je ne sais pas si cela amoindrira mon chagrin. Mais je garde l’espoir que cela vous procurera un aperçu réel, concret, humain de la situation, de l’atroce réalité de vos hôpitaux… et vous invitera à réfléchir à adapter votre système de santé au plus vite.

Dans cet espoir, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, mes salutations distinguées.

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