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La Mecque-Phuket, Saphia AZZEDDINE...jubilatoire!

éditions Léo Scheer, 2010; édition de poche J'ai lu, 155 pages.

Résumé de l'éditeur
En bonnes filles vertueuses, Fairouz et Kalsoum sa soeur économisent l'argent de leurs petits boulots pour réaliser le rêve de leurs parents : un pèlerinage à la Mecque. Mais pour une fois, la jeune Fairouz, un brin rebelle, a bien envie de s'affranchir des traditions familiales et religieuses pour succomber aux tentations occidentales modernes...et acheter, plutôt, des billets pour Phuket.
 ...et on aurait envie de dire, quel mal à ça!? entre son devoir envers ses parents et son rêve à elle, Fairouz va mener une réflexion qui la conduira à faire un choix en adéquation avec ses propres aspirations.

Après "confidences à Allah" et " mon père est femme de ménage", ce roman est le dernier d'une trilogie consacrée à la remise en question de la condition de la femme dans l'Islam.

Ce que j'aime chez Saphia Azzeddine et que j'ai retrouvé dans ses autres romans c'est sa capacité à émettre des vérités et à dresser un tableau impitoyable de la bêtise dans laquelle s'enlisent les ignorants et les incultes que ce soit dans un excès de religiosité ou un excès de modernisme! l'équilibre étant l'exercice de l'esprit critique et la possibilité de voir bousculées ses assurances et ses appartenances. Ses dialogues au "parler vrai" sont hilarants et peut-être le tout petit reproche qu'on pourrait lui faire est que ce style un peu trop oral se retrouve dans le reste de la prose, sans pour autant enlever de la saveur.

Son ton tranchant et son humour grinçant, référencé et subtil m'ont beaucoup fait sourire, parce que ce que critique S. Azzeddine dans les travers de certains musulmans est tellement juste et j'en fais également l'amère constatation quand j'observe avec attention autour de moi.

Fairouz est une jeune étudiante qui a de l'esprit et qui a le sens de la famille, elle est très complice avec sa soeur Kalsoum et moins tendre avec son frère Najib, le portrait-type du jeune "rebeu" en mode "looser", et sa soeur cadette Shéhérazade, moins terre à terre que son aînée et très branchée "télévision-clips-télé-réalité". Fairouz est beaucoup moins à plaindre que "Bilqiss" du roman éponyme et Jbara de "Confidences à Allah", car elle est moins dans l'urgence, sa vie n'est pas en danger ou menacée; elle est libre, prend le temps de la réflexion et de remettre à leurs places toutes les personnes qu'elle juge comme ayant un raisonnement tordu, y compris ses propres parents.
Elle envisage le rapport à Dieu comme une relation très intime, lumineuse et non pas tapageuse ou ostentatoire, j'en prends pour exemple l'extrait suivant (qui m'a bien fait rire) sur cette fameuse "zébiba" autrement dit la parcelle de peau durcie, produite par le frottement sur le sol pendant les prières musulmanes, "...avec cette zébiba sur le front qui relevait plus d'une scarification que d'une intense spiritualité. A chaque prière, amalgamant souffrance et soumission, il devait cogner son front par terre pour que la petite tache brune apparaisse plus vite et fasse de lui un bon musulman et tout et tout..."

L'auteur nous donne une vision assez positive finalement de la pratique religieuse, qui laisserait la place à la lumière plutôt qu'à l'obscurité, à la permission plutôt qu'à l'interdit ou la contrainte, à l'idée de transmettre plutôt qu'à celle d'imposer, aux idées et aux doutes plutôt qu'aux dogmes...nourrir sa réflexion au lieu de l'endormir!
Parce qu'après tout il n'est pas incompatible d'avoir la foi et de s'offrir quelques plaisirs dans une vie, une vie qui ne serait pas entièrement organisée par les préceptes religieux, et Fairouz souhaite pouvoir penser à se faire plaisir sans heurter qui que ce soit, "je croyais en Dieu. Je faisais le Ramadan. Je ne mangeais pas de porc. Je ne buvais pas l'alcool. J'étais vierge. Je ne médisais pas. Enfin si peu. J'étais ce qu'on appelle communément une musulmane laïque qui ne fait chier personne. Je le précise car vu d'en haut, on a l'impression qu'aujourd'hui les musulmans font chier, toujours, tout le temps et tout le monde [...] Mais Dieu est miséricordieux, la France très clémente et le musulman plutôt philosophe en fin de compte".

Les portes de l'"ijtihad" (effort de réflexion et d'interprétation du Coran en appréhendant sa dimension temporelle) étant closes, peut-on oser dire aujourd'hui comme la mère de Fairouz dans le roman "Il y a autant d'hommes sur terre que de chemins qui mènent à Dieu" ? et que le caractère temporel de certains commandements ne trouvent plus leur légitimité aujourd'hui?
Et que répond Fairouz, que je qualifierai de féministe, quand sa mère lui demande de ne pas faire l'"effrontée"? la jeune femme se définit comme "indocile", parce qu'elle est lucide, grande gueule et que ses interrogations sont légitimes et fondées; elle ne se complait pas dans le conformisme intellectuel.

Derrière ses personnages féminins, je ne peux m'empêcher d'entendre la voix de S. Azzeddine, fustigeant une société occidentale qui produit des "dégénérescents", "[...] je comprenais que les barbes se rallongent et que les frustrations se décuplent quand je regardais cette télé que Shéhérazade affectionnait. Ces médias qui encouragent la puterie et la dégénérescence, le pognon et le vice, l'ignorance et le déshonneur. Ces médias qui se préoccupent du sort des femmes musulmanes et si peu de leurs maris. Cet occident si arrogant qu'il ne peut soupçonner qu'un autre mode de vie est possible", et une société arabe dont Fairouz dit " je trouve que les Arabes blâment trop l'Occident comme étant l'origine de tous leurs maux. Ensuite ils ont une mentalité de victimes ou de réactionnaires mais jamais d'entrepreneurs ou de révolutionnaires. Et pour finir papa, je trouve qu'ils doivent arrêter de compter sur les autres, se réapproprier leur histoire et se bouger le cul sérieusement." ce roman ayant été publié en 2010, les tunisiens ont depuis entrepris cette révolution, ils ont prouvé que l'on pouvait pacifiquement se débarrasser d'un dictateur et envisager un horizon démocratique...même si un long chemin reste à parcourir.

Le ton de ce roman est résolument d'inspiration féministe, et il me semble que Saphia Azzeddine  critique des associations comme "ni putes ni soumises" qu'elle juge trop complaisantes, clivantes, pas assez musclées.
Le personnage de Fairouz a du répondant et elle n'hésitera pas à faire comprendre à sa mère (qui lui parle d'un certain Amine) gentiment mais fermement qu'elle n'est pas un utérus ambulant, et ne souhaite pas qu'un homme la choisisse parce qu'elle ferait une bonne mère...quid des femmes stériles? "[...] cet Amine avait toutes les qualités du monde, pourtant il faisait l'erreur de choisir une future mère plutôt qu'une femme. Les hommes pensent nous flatter (...) alors qu'il ne faut pas dire ça. Le jour où un homme me plaira, j'exige qu'il soit plus que du sperme de qualité dans un corps d'athlète...est-ce si difficile d'envisager une femme dans son ensemble? Les hommes rêvent d'une épouse qui ressemblerait à leur mère mais se branlent à vie en repensant aux femmes de leur jeunesse [...]". Et tout le roman est parsemé de ce genre de remarques pleine de vivacité et d'à-propos.

Vous devinerez sans difficulté le choix fait par Fairouz concernant le voyage qui se rapprocherait le plus du rêve.


CE QUE J'EN PENSE

La force du point de vue de Saphia Azzeddine est de ne jamais égratigner l'Islam  et d'ailleurs elle ne renie pas le Très-Haut, ce qu'elle blâme ce sont les agissements des hommes plus prompts à flatter Dieu qu'à l'honorer.
Comme les autres romans que j'ai pu lire de l'auteur, la réflexion est encore une fois brillante, stimulante, fondée et nécessaire en ces temps de fortes turbulences identitaires.

J'ai beaucoup ri en lisant ce livre parce que S. Azzeddine a beaucoup d'humour et que pour comprendre cet humour il vaut mieux avoir un peu de culture parce qu'elle glisse toujours des références, qu'il y a beaucoup de subtilités. Le plus réjouissant est que ses constatations, ses analyses, ses interrogations rejoignent beaucoup les miennes. Fairouz étant un personnage auquel j'aurais pu m'identifier quand plus jeune, étant étudiante, maghrébine (je le suis toujours!), vivant dans une cité, et n'ayant pas souffert du racisme je m'interrogeais malgré tout sur l'identité qui pourrait faire coexister notre appartenance à la France et un Islam respectueux des valeurs de ce pays.  
Une lecture JU-BI-LA-TOIRE !!!! 

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