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Un grand poète de la chanson française...Jacques Higelin



Flamboyant, poétique, imprévisible, lyrique, fantasque, écorché vif, insaisissable....voilà ce que nous évoque Jacques Higelin dont la poésie au style fleuri, ombrageux, farouche, mélancolique m'a saisie et enchantée.
Ce recueil rassemble une centaine de textes inédits écrits entre 1982 et 2015.

Délectez-vous de cette plume exquise, savourez le bouillonnement de son verbe :
ESSAYE-MOI D'ABORD
"Essaye-moi, essaye-moi d'abord
avant de t'enflammer
puis avant de sombrer
dans la loi des chassés croisés
teste-moi d'abord

Avant qu'on se divise
Qu'on se sépare en deux
Avant qu'on se dégrise
Du vertige amoureux

Avant qu'on baisse les bras
Avant qu'on baisse les yeux

Rompons la glace
Ouvrons nos corps
Et d'un commun accord
Testons-nous encore

Avant que nos miroirs se brisent
Avant qu'on n'en puisse plus
Que nos âmes et nos corps s'enlisent
Plus vite qu'on ne l'aurait cru
Avant que sonne la disgrâce
Et la fin de nos face à face
Avant qu'on se volatilise
Qu'on se déguise en courant d'air
Avant qu'on ait perdu les traces
Du chemin qui reste à faire"

(Puisse l'esprit pénétrant comprendre la tragédie derrière la fausse légèreté....fm.)

Une des plus belles odes au théâtre; le théâtre se vit, s'éprouve, se ressent, c'est une expérience !
THEATRE
Théâtre !
Berceau des plus inusables chimères
où l'illusion s'accouple à la lucidité
pour rendre à nos mensonges
leur part de vérité
Théâtre !
Où tant d'artistes
la bave aux lèvres, bourrés de tics
et le regard sanguinolent
se sont jetés sur le public
en déversant dans ses oreilles
sous son regard compatissant
leurs états d'âmes existentiels
et l'éloquence de leurs tourments
Théâtre !
Battement de coeur des générales
lustres qui s'illuminent
sous un feu d'artifice de paillettes et de strass
valets de comédie
poussant la tragédie
dans les bras de la farce

Statues de stuc
décors en staff
soubrettes en rut, ténors qui piaffent
derrières les lourds rideaux
de velours cramoisi
Théâtre !
Bourdonnement de ruche
toussotements, chuchotis
coquettes ingénues, prunelles écarquillées
braquant du paradis les canons de leurs jumelles
sur les Don Juan du jour
sur les Molière en herbe
qui font la roue
dans la volière
des premiers rangs
Théâtre !
Emphase déclamatoire désintégrant le rire
sérénité du souffle portant les mots du pire
et verbe qui s'inspire au gouffre du néant
Carrefours d'assassinats,
de rébellions
où les Antigone en haillons
vomissent du fond de leur poitrine
des volcans de tirades
et des torrents de rimes
Théâtre !
Grands écorchés de l'âme, princesses androgynes
visage révulsé sous la torture interne
regard ensanglantés qui engendrent le crime
peaux blêmes
hérissées de frissons
incarnations sublimes
d'amours illégitimes
éclaboussées de trahisons
Théâtre !
Où le public
témoin des folies, des passions
des machinations diaboliques
du crachat des malédictions,
suspend ses ovations au souffle du poète
et ses battements de coeur
au talent des victimes
Théâtre !
Ballet d'ombres qui errent dans l'envers du décor
maquillage, persiflage,vocalises, enfantillages,
éclats de voix
portent qui claquent...
Théâtre ! 
Agitation
course-poursuite
accélérant la frénésie dans le cocon des loges
voix de conspirateur
sur fond de rumeur publique :
la représentation commence dans cinq minutes 

Pâleurs mortelles, coeurs qui palpitent
visages défaits et gestes égarés
Invocations! prières! flambées mystiques!
Signes annonciateurs chargés d'adrénaline
tension qui s'électrise au compteur de secondes
le temps qui rétrécit et
la ferveur qui monte...monte...monte
EN SCENE !
Théâtre !
C'est Dionysos lui-même qui tire les ficelles
et sous ses projecteurs
le rideau s'écartèle

Soleils factices
feux de la rampe
feu sur l'acteur !
feu sur l'actrice !
Il a du coeur
il a du ventre
du cran, du coffre, de la ferveur
Elle a le souffle
elle a la grâce
d'allier l'audace à la candeur

Servant le génie dramaturge
ils voyagent à travers le temps
servant le génie de l'auteur
la saga des légendes
les pensées les plus sages
et les rêves des plus grands

Prêtant les traits de leur visage
leurs muscles et leurs intonations
aux plus glorieux personnages
tout comme aux plus insignifiants
Théâtre !
Théâtre de la vie
Entrée
Monologue, dialogues
Sortie

Lieu d'affrontements impitoyables
corps-à-corps épiques
entre le public et l'acteur
entre l'acteur et sa réplique
où dans l'ombre du spectateur
se terre le spectre du critique

Tremblez, tremblez, mortelles carcasses
prenez votre rôle au sérieux
creusez les cernes sous les yeux
donnez du sens à vos grimaces

La salle s'éclaire
l'acteur s'efface
brise la glace
apparaît l'homme
on l'ovationne
les jeux sont faits
Les feux de la rampe se sont éteints
La foule est retournée chez elle
Seul dans sa loge
le cabotin
se démaquille, replie ses ailes
suspend son costume d'Arlequin
et d'un baiser fraternel
d'un signe de la main
salue sa compagnie d'archanges aux traits tirés
redescend l'escalier par où montait la gloire
remercie le concierge
lui souhaite le bonsoir

[...]
Son seul instrument c'est lui-même
il joue de la corde sensible
qui fait vibrer les émotions
il joue ses tripes et son sommeil
ses cauchemars inaccessibles
ses rêves qui sont la cible
des rires, des larmes, des quolibets
Il joue

Son seul instrument c'est lui-même
Est-ce qu'il s'aime
Est-ce qu'il se hait?
Il est
le jouet de ses fantasmes
et le fantasme de ses jeux

Il nous fait rire, on l'applaudit
bous fait souffrir, on le maudit
et puis
quand il hésite, qu'il ne sait plus
que sa foi s'est laissé prendre
dans les filets du doute
il nous ennuie
ou bien nous gêne
Quand la flamme qui l'habitait
un jour le quitte
qu'il devient aussi pitoyable
qu'il fut grandiose
on a pour lui de la peine
Puis on l'oublie

On oublie qu'il fut le diable,
le roi, le bouffon, le dieu, le maître,
le serviteur
de cette race sublime
et maudite
celle dont l'esprit, le corps et l'âme palpitent
dans les miroirs
de l'oreille et du regard
publics

Le jour où
définitivement
il nous quitte
pour rejoindre et traverser son dernier miroir
on l'applaudit encore
pour voir
si par hasard
il ressucscite

Il joue sa vie
il joue ses drames
il joue ses rires et puis ses larmes
mais qui est-il?

Nul ne sait, pas même lui
Nul ne le saura mieux que lui

Savez-vous c'est quoi?
Savez-vous c'est quoi?
Le THEATRE.

Un trésor d'écriture qui ne peut que nous éblouir!

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