Premier livre de CIORAN publié en 1934 dans sa langue d'origine, le roumain, "sur les cimes du désespoir" est écrit après plusieurs mois de dépression accompagnée d'insomnie et nous offre une vision saisissante de l'âme humaine à travers une introspection qui analyse les propres contradictions et agitations de l'auteur.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, lire CIORAN ce n'est pas plonger dans l'abîme, c'est juste danser au bord de cet abîme et y observer les tréfonds de son âme et ses variations. La souffrance éveille la conscience, qui elle-même rend plus lucide cette souffrance.
Non, lire CIORAN ce n'est pas suicidaire, lui-même a dompté ce désir de suicide; sa solution a été l'expression de cet excès de plénitude grâce à l'écriture. Il dit lui-même qu'il s'est vidé, expurgé grâce à l'écriture
Ses réflexions sont brillantes et d'une justesse que ne peuvent comprendre ceux qui ne pensent jamais car "seuls sont heureux ceux qui ne pensent jamais, autrement dit ceux qui ne pensent que le strict minimum nécessaire pour vivre. La vraie pensée ressemble, elle, à un démon qui trouble les source de la vie (...) la réflexion (vous) apparaît comme une damnation". Il explore ainsi l'irrationalité et l'angoisse face à l'existence.
Extraits :
Au comble du désespoir, seule la passion de l'absurde pare encore la chaos d'un éclat démoniaque. Lorsque tous les idéaux courants, fussent-ils d'ordre moral, esthétique, religieux, social ou autre ne parviennent pas à imprimer à la vie une direction et finalité, comment préserver encore celle-ci du néant?
Les taches sur le soleil de la vie sont si vastes qu'elles finiront par en cacher la lumière. La bestialité de la vie m'a piétiné et écrasé, elle m'a coupé les ailes en plein vol et refusé les joies auxquelles j'eusse pu prétendre.
Mon admiration sans bornes pour les enthousiastes vient de mon impuissance à comprendre leur existence dans un monde où la mort, le néant, la tristesse et le désespoir composent un sinistre cortège. Qu'il y ait des gens inaptes au désespoir - voilà qui trouble et impressionne.
Comment combattre le malheur ? En nous combattant nous-mêmes : en comprenant que la source du malheur se trouve en nous. Si nous pouvions nous rendre compte à chaque instant que tout est fonction d'une image reflétée dans notre conscience, d'amplifications subjectives et de l'acuité de notre sensibilité, nous parviendrions à cet état de lucidité où la réalité reprend ses vraies proportions. L'on ne prétend pas ici au bonheur, mais à un degré moindre de malheur (...) il faut pour diminuer l'intensité du malheur une véritable éducation et un effort intérieur soutenu (...) la discipline du malheur réduit les inquiétudes et les surprises douloureuses, atténue le supplice et contrôle la souffrance. Il y a là un déguisement du drame intérieur, une discrétion de l'agonie.
Une écriture et une pensée jubilatoires...et sinon tout va bien.
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