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La dernière nuit du Raïs, Yasmina KHADRA

Editions Julliard, 2015, 207 pages.

Résumé de l'éditeur :
"Longtemps j'ai cru incarner une nation et mettre les puissants à genoux. J'étais la légende faite homme. Les idoles et les poètes me mangeaient dans la main. Aujourd'hui je n'ai à léguer à mes héritiers que ce livre qui relate les dernières heures de ma fabuleuse existence. Lequel, du visionnaire tyrannique ou du bédouin indomptable, l'Histoire retiendra-t-elle? Pour moi, la question ne se pose même pas puisque l'on n'est que ce que les autres voudraient que l'on soit."

       Pénétrer l'esprit d'un dictateur sanguinaire au narcissisme démesuré n'est pas chose aisée, or pour Yasmina Khadra le pari est réussi. J'ai encore en mémoire les images amateurs de la capture de Khadafi en octobre 2011 par les révolutionnaires et de son lynchage; images insoutenables pour le commun des mortels, en tout cas pour toute personne normalement constituée et dotée de sensibilité (entendons nous bien, rien n'excuse les actes de cet odieux personnages). On y voit l'ancien guide libyen le visage ensanglanté, implorant les combattants de lui laisser la vie sauve. Après la fuite de Ben Ali, la chute de Moubarak, de Gbagbo qui a aussi cessé de se cramponner au pouvoir en Côte d'Ivoire, c'est Khadafi qui aura finalement été le réceptacle passif des haines et souffrances qu'il aura fait germer  chez son "bétail", ou plus précisément "cheptel" (oui c'est ainsi qu'il considérait les peuples arabes).

         Cette dernière nuit sera l'occasion de faire une plongée vertigineuse dans la mémoire et les souvenirs de celui qui dirigea la Libye de 1969 à 2011. Ce roman, c'est Khadafi vu par lui-même et donc dénué de jugement ou d'un regard moralisateur; seuls les faits comptent pour dire ce à quoi peuvent probablement conduire les vieilles blessures ainsi que l'accumulation de frustrations.

         Lors de cette dernière nuit du 19 au 20 octobre 2011, Khadafi et ses plus fidèles sbires fuient les combattants qui sont à leurs trousses et se retrouvent acculés. Ils trouveront d'abord refuge dans une école désaffectée, puis comme nous le savons tous se terreront et seront débusqués dans de grosses canalisations. Yasmina Khadra donnera du rythme à son récit avec les descriptions des stratégies quasi-militaires qui sont à l'oeuvre dans cette course poursuite ou chasse à l'homme.

           Un homme à l'ego surdimensionné qui se prend ni plus ni moins que pour un envoyé de Dieu, un mégalomane, paranoïaque, n'acceptant pas de frustrations d'ordre sexuel, il aime dominer et soumettre. Sa mission initiale de libérer les peuples opprimés et de poursuivre l'ambition de Nasser qui était de créer une union panarabique ne trouvera aucun écho auprès des dirigeants arabes et africains.
Dans d'incessants va-et-vient entre cette fatidique dernière nuit et ses souvenirs, le dictateur reviendra sur son parcours sans concevoir un seul instant qu'il ait pu causer du tort à son peuple et l'offenser. Il restera convaincu du bien-fondé de sa mission et de sa légitimité à conduire une nation....manifestement à  l'échec (quoique certaines personnes m'ont fait part de leur regret de l'ordre ancien au vu du chaos qui règne aujourd'hui dans leur pays).

           Le versant mystique du personnage convoquera...Van Gogh, Khadafi était fasciné au point que l'image du peintre vienne le hanter dans les moments importants de sa vie, extrait "Mon histoire avec Van Gogh remonte à mes années du lycée. en feuilletant un beau-livre emprunté à un camarade, j'étais tombé sur un autoportrait du peintre. Aujourd'hui encore, je suis incapable de m'expliquer ce qui s'est produit en moi ce jour-là [...] je me souviens, j'étais resté littéralement hypnotisé par le personnage.[...]cette image ne m'a plus quitté [...] elle revient hanter mon sommeil [...]". Cette fascination pour le grand peintre sera mon seul point commun avec Moummar Khadafi.

           Le roman s'achèvera sur la scène de la revanche, la vengeance de "son peuple" qu'il considérait comme un "cheptel" et qui le mettra à mort avec toute la cruauté que le dictateur aura lui-même exercé sans scrupule.

  POUR FINIR /

Ce roman que j'aurais pu lire d'une traite grâce à la fluidité de la plume de Y. Khadra m'a accompagné pendant trois jours. Bien que la personne de Khadafi ne m'inspire aucune sympathie, Khadra rend ce huis clos captivant et certaines envolées verbales qu'il prête au dictateur déchu peuvent faire sourire, notamment quand il qualifie l'ex-président tunisien Ben Ali de "boursouflure maniérée", de "maquereau endimanché", ou encore "de gangster élevé au rang de Raïs", on sait pertinemment que c'est ce qu'il pensait réellement.
Pour finir je vous invite à lire le livre-documentaire de la journaliste Annick Cojean "Les proies, dans le harem de Khadafi", vous mesurerez l'ampleur de la folie de cet homme et vous saurez la vérité sur celles qu'on appelait "les amazones" qui accompagnaient Khadafi à chacun de ses déplacements et qui nous faisait croire que la Libyenne était une femme émancipée et libre. 

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