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Henri de Montherlant, un écrivain à réhabiliter...

Les jeunes filles, Henri de Montherlant, édition FOLIO, 219 pages, 1936.
Premier volume d'un cycle romanesque comprenant :
1) Les jeunes filles
2) Pitié pour les femmes
3) Le démon du bien
4) Les lépreuses

L'année 2018 ne pouvait pas mieux commencer. Je vous présente donc mon premier coup de coeur littéraire pour un écrivain qu'on lit mal, qu'on ne lit pas assez et qui est taxé à tort (selon moi) de misogynie.

Pour ceux qui l'ignorent Henri de Montherlant est né en 1896 à Paris dans une famille noble. Fils unique, sa passion pour la littérature s'est affirmée très tôt à l'âge de douze ans. Devenu adulte, il entreprendra de longs voyages qui nourriront son inspiration. Son oeuvre pléthorique est essentiellement composée de romans, d'essais, de pièces de théâtre. Il se donne la mort le 21 septembre 1972.

Fidèle à la logique que je me suis fixée pour cette année et avide d'explorer les plus belles plumes de la  littérature française, celle qui a mis ce grand écrivain sur mon chemin est mon amie et poétesse Chadia, qui telle une "profileuse littéraire" sait toujours donner les meilleures recommandations en fonction du besoin et évidemment en ce qui me concerne ce choix n'est pas anodin.

Pierre de Costals, héros des quatre romans de ce cycle, est un personnage "que l'auteur a voulu inquiétant, voire par moments odieux. Et que les propos et les actes de ce personnage ne sauraient être, sans injustice, prêtés à celui qui l'a conçu". Ce personnage est certes imbuvable par moments mais il n'en reste pas moins doué d'une clairvoyance qui manque cruellement aux hommes d'aujourd'hui. 
Le héros de cette tétralogie est Pierre Costals, un écrivain à succès qui entretient avec plusieurs femmes des liaisons essentiellement épistolaires. Cynique, goujat, quelques fois odieux, il exprime dans sa correspondance avec ces jeunes filles son refus de s'engager dans une relation amoureuse qui lui ferait renoncer à son indépendance. On peut d'ailleurs se demander si cet homme est capable de sentiments. Dans ce premier roman, sa principale correspondante est Andrée Hacquebaut, jeune fille de bonne famille malheureuse éconduite qui ne cesse de le renvoyer à ses contradictions et ambiguités vis-à-vis d'elle. Les lettres enflammées de cette dernière restent souvent sans réponse.

Je ne résiste pas au plaisir de vous donner à lire quelques passages des plus savoureux :
(P. Costals à Thérèse Pantevin) Il n'y a aucune chance que le sentiment que vous croyez me porter ait jamais en moi le moindre écho. Ne vous obstinez pas dans ma direction : ce serait pousser contre une porte fermée; vous vous y épuiseriez. Et d'ailleurs, quand vous m'atteindriez, vous n'auriez rien de moi, car je n'ai rien à donner à personne.
(P. Costals à Andrée Hacquebaut) Je vous demande pardon, mais je ne sais plus garder mon sérieux quand on me dit qu'on m'aime [...] Pourquoi quitter ce plan amical sur lequel nous étions si bien, pour entrer dans la vulgarité et dans le casse-tête du sentiment? vous vous installez à présent sur des sommets si sublimes, que je doute de pouvoir vous y suivre. Je vous traitais, si on veut, comme une camarade intelligente, avec naturel...je vais maintenant me sentir des devoirs envers vous : ..., devoir de vous traiter avec des ménagements infinis, devoir de vous rendre quelque chose qui soit un peu en proportion avec ce que vous me faites l'honneur de m'offrir [...] Je crains que vous n'ayez été maladroite et imprudente. Il fallait garder tout cela pour vous, et que je pusse continuer de feindre que je n'avais pas compris.
Et je m'arrête là au risque de reproduire ici une grande partie du livre dont la lecture fut un pur moment de bonheur et de ravissement esthétique. Tous les amateurs de grand style seront éblouis par celui de H. de Montherlant. Par ailleurs, je ne comprends pas qu'il ait traîné cette réputation de misogyne que lui ont collé les ligues féministes! C'est tout simplement un auteur incompris et mal lu et ceux qui lisent mal ne peuvent accéder à un degré de compréhension supérieur et à la splendeur de la langue. J'irai même jusqu'à dire que H. de Montherlant était un écrivain féministe; il traite de la difficulté des sentiments entre hommes et femmes avec acuité, subtilité et humour!
(Andrée Hacquebaut à Pierre Costals) [...] Et d'ailleurs je ne suis plus dans le jeu. Vous m'avez été jadis un élément de fécondité intérieure, de vitalité, de tourment actif. A présent il n'y a plus rien. Vous desséchez tout, comme le vent. Vous avez momifié la tendresse si fraîche, si absolue, si profonde que j'avais pour vous...vous avez fait avorter des sentiments qui, épanouis, eussent pu donner des fruits admirables...Quand je recherche tout ce qui fleurissait en moi pour vous, il me semble que vous avez arraché jusqu'aux racines..."
Un seul adjectif pour qualifier cette lecture : JUBILATOIRE.





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