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La nuit avec ma femme, Samuel BENCHETRIT...une promenade onirique.





La nuit avec ma femme, Samuel BENCHETRIT, éditions Plon/Julliard, RL 2016, 169 pages. (sp)*

Extrait
"J'ai passé plus de temps que toi sur cette terre. Et la différence, c'est que moi je t'ai perdue. C'est parce que j'ai continué à vivre que je le sais. J'ai voulu être seul souvent pour être avec toi. Il faut bien donner son temps aux amours invisibles. S'en occuper un peu. Encore maintenant je me demande comment tu vas. Ce que tu fais. Je cherche de tes nouvelles. J'invoque la colère pour que tu la calmes."

Dans ce récit, Samuel Benchetrit convoque le fantôme de son épouse Marie Trintignant qui, pour rappel des faits, était une actrice française qui en 2002 a quitté l'auteur de ce livre pour Bertrand Cantat, chanteur de Noir Désir. En juillet 2003, elle se trouvait en Lituanie à Vilnius pour un tournage. Lorsque le 26 juillet 2003 au soir elle reçoit un sms de Samuel Benchetrit, Bertrand Cantat est envahi par un sentiment de jalousie excessif et se met à battre Marie Trintignant. Cette dernière décèdera quelques jours plus tard suite à la violence des coups reçus et la justice qualifiera ce meurtre de "crime passionnel".

C'est dans un langage ardent et poétique que Samuel Benchetrit exprime le manque, la permanence de l'amour, les souvenirs très vivaces, le deuil qui ne se fait pas et les regrets. La colère, même si on la sent, l'auteur l'évacue; il dit avoir retiré plusieurs pages du récit dans lesquelles il exprimait sa haine envers "celui qui a tué", il a vraisemblablement cherché une attitude plus digne. A côté de cette colère qu'il arrive à contenir, le sentiment de culpabilité n'est pas loin parce qu'il se dit que s'il n'avait pas envoyé ce sms qui se terminait par "je t'embrasse ma Janis", rien ne se serait produit. Il y a également la décision de laisser mourir celle qui était encore sa femme, parce qu'il est encore son époux officiellement et que l'état de Marie était désespéré; vient ensuite la lourde responsabilité d'annoncer à un enfant de 5 ans (Jules) qu'il ne reverra plus jamais sa maman.

Samuel Benchetrit nous raconte sa nuit du drame lorsque, dans ce qui nous semble être une situation surréaliste, Bertrand Cantat lui téléphone, manifestement secoué et avouant à demi-mot son acte. Dans ce récit autobiographique c'est l'après-Marie qui est retracé; S. Benchetrit se promène au cours d'une nuit pour se confier à celle qui, de onze son aînée, fut son premier amour. Treize ans après le drame, il ne finit pas de la voir, de la rêver, de vouloir lui parler et après une lente mais nécessaire réflexion, il nous livre un récit onirique, poétique, porté par l'amour que lui inspire Marie et qui en fait un témoignage poignant, un hommage vibrant.

Ce texte soulève de nombreuses réflexions sur la perte de l'être aimé, l'abandon, le sentiment de culpabilité, le travail de deuil, la jalousie et amène à s'interroger sur la frontière entre une jalousie "normale et saine" et le trouble psychique qui pousse à vouloir posséder son partenaire par la force au point de tuer. Une des questions qui m'a paru importante est celle de la justice qui semble avoir été trop clémente dans la condamnation de Bertrand Cantat (8 ans de prison). Samuel Benchetrit exprime avec légitimité son affliction, notamment lorsqu'il évoque ses anciens amis de jeunesse qui prenaient bien plus cher pour un "simple" usage de "shit".

Je termine en vous encourageant à lire ce récit, et à ne pas vous laisser impressionner par l'écriture hachée, saccadée, très ponctuée qui à mon sens accroît la qualité du texte et sa force.

*je remercie chaleureusement les éditions Plon et Julliard de m'avoir envoyé ce livre.



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