Chanson douce, Leïla SLIMANI, NRF Gallimard, rentrée littéraire 2016, 240 pages.
Résumé
POUR FINIR /
Résumé
Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocat, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engage Louise, qui conquiert très vite l'affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans l foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu'au drame.
Et ce drame, Leïla Slimani nous le livre dès la première phrase "le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes".
D'entrée de jeu, nous sommes confrontés à l'horreur, La nounou a
assassiné les enfants de ses employeurs. Cette espèce de thriller
domestique tourne autour de la personnalité troublante de Louise, la
nounou que Myriam et Paul ont embauché pour garder leurs deux enfants.
Ce jeune couple de trentenaire, qui vit dans le Xème arrondissement de
Paris et financièrement à l'aise se met à la recherche de la perle rare
qui prendra soin de la petite Mila et du petit Adam.
Depuis
que Myriam a donné naissance à son second enfant, elle étouffe dans son
rôle de mère au foyer, dans cette routine abrutissante, et se sent
"dévorer vivante" par ses enfants. Elle n'arrive pas à ressentir
pleinement ce qu'elle s'imaginait être le bonheur idéal de la maternité,
elle le qualifierait plutôt de "bonheur simple, carcéral". Sa fibre
maternelle ne la fait pas virevolter, elle jalouse son mari qui a une
vie professionnelle et elle n'envisage pas de sacrifier à ses enfants son
propre épanouissement; pour s'accomplir elle éprouve le besoin viscéral
de reprendre sa carrière d'avocate. "
Elle avait toujours refusé l'idée que ses enfants puissent être une
entrave à sa réussite, à sa liberté. Comme une ancre qui entraîne vers
le fond [...] Cette prise de conscience l'a plongée au début dans une
profonde tristesse [...] elle s'était rendu compte qu'elle ne pourrait
plus jamais vivre sans avoir le sentiment d'être incomplète, de faire
mal les choses, de sacrifier un pan de sa vie au profit d'un autre. Elle
en avait fait un drame, refusant de renoncer au rêve de cette maternité
idéale. S'entêtant à penser que tout était possible, qu'elle
atteindrait tous ses objectifs, qu'elle ne serait ni aigre ni épuisée."
Lorsque le couple fait passer les entretiens d'embauche pour trouver la nounou idéale, leur attention sera attirée par Louise et comme une évidence ce sera elle qu'ils choisiront "son visage comme une mer paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses".
La femme a l'allure gracile dégage bonté et bienveillance. Son
professionnalisme sera remarquable, sa présence et son efficacité auprès
des enfants deviendront indispensables. Lentement Louise va s'infiltrer
dans leur vie, dans leur intimité et petit à petit la relation
deviendra vampirisante. Au fil de la narration nous serons pris comme
témoin impuissant face à certain signes troublants dans le comportement
de Louise, qui sont annonciateurs du drame. C'est sans suspense que
l'auteur nous fait part dans la première phrase de l'acte abominable
commis par la nounou.
Dans
ce roman à l'atmosphère oppressante, Leila Slimani dresse le portrait
d'un être blessé par la vie, par une société qui pousse à
l'individualisme et vers une solitude écrasante. Louise semble
tourmentée, son passé est sombre...Louise est seule et c'est là son
malheur.Le sujet qui pourrait être assez banal prend une dimension
hypnotique sous la plume de la jeune auteure, elle arrive à rendre
palpable le malaise tout en laissant planer une part de mystère autour
de la nounou.
Leila
Slimani s'est inspirée d'un fait divers qui a eu lieu aux Etats-Unis en
2012; une nounou dominicaine avait assassiné les deux enfants du couple
chez qui elle était employée. Pour le prénom de Louise, il s'agit d'une
référence à la célèbre affaire de Louise Woodward à la fin des années
90; cette jeune fille au pair britannique qui était employée chez une
famille de médecin à Boston avait secoué leur bébé entraînant la mort de
ce dernier après quelques jours de coma. Cette affaire avait fait grand
bruit parce que la mère de famille avait été accusée d'être trop
carriériste et par conséquent peu intéressée par l'éducation de ses
enfants...faut-il comprendre qu'une mère qui a des enfants doit se
consacrer entièrement à eux auquel cas elle serait considérée comme une
mère indigne et négligeante? c'est une question que soulève le roman de
Leïla Slimani, à savoir la difficulté de concilier vie familiale et vie
professionnelle; il y est aussi question des rapports de classes sociales, de
solitude, de misère dans une société devenue trop individualiste, d'émancipation
féminine, etc.
POUR FINIR /
Leila
SLIMANI nous offre un roman à l'écriture tranchante, à la construction
impeccable avec une tension dramatique maîtrisée. On est tenu en haleine
par ce personnage de Louise dont on perçoit le fragile équilibre et qui
par moments peut faire pitié et nous inciter à comprendre ce qui la
fait déraper. Comment cette femme en apparence si parfaite, si dévouée
et adorée par les enfants s'est-elle transformée en tueuse? Certains
signes de son déséquilibre sont racontés subtilement, comme ce jeu de
cache-cache où elle prend "perversement" son temps avant de se montrer
pour provoquer la frayeur des enfants qui étaient terrifiés à l'idée
d'être abandonnés par la nounou. Le jeu finira par un geste brusque et
volontaire de Louise envers un des enfants...c'est cruel! Au lecteur de
saisir ces signes et d'échafauder sa théorie sur l'état mental de
Louise.
"Chanson
douce", un livre couronné par le prix Goncourt et dont
l'atmosphère fait penser à un roman de Laura Kasischke, c'est dire
l'efficacité de l'écriture de Leïla Slimani. Même si elle a connu un
grand succès avec son premier roman "dans le jardin de l'ogre", un
auteur est davantage attendu par la critique lors de sa deuxième
publication. Je pense que Leïla Slimani a passé le test haut la main et
confirme son talent. Une romancière prometteuse à suivre !
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